L’affaire Thalès

Remerciements

Merci à Léonard Doyen du groupe Anticor Paris, Alexandre G. pour le visuel, et Yarol Caldera pour la musique.

Texte intégral de l’épisode

La fête nationale du 14 juillet 2023 fut l’occasion pour le président Emmanuel Macron d’afficher la vitalité des relations franco indiennes en recevant un invité de marque, le Premier ministre indien Narendra Modi. C’est dans ce même laps de temps médiatique que la presse a dévoilé au grand public l’ouverture d’une enquête du parquet national financier visant le groupe Thales pour des soupçons de corruption en Inde. Même si ces deux événements peuvent paraître isolés, ils reflètent en réalité l’intensité des relations franco indiennes autour des enjeux relatifs à l’industrie d’armement. La conclusion de cette enquête pourrait mettre en lumière une pratique illégale, largement répandue chez les industriels français de l’armement.

Ce type de pratiques, en plus de servir les enjeux géopolitiques de la France, servirait également à financer les principaux partis politiques indiens se succédant au pouvoir. Mais avant toute chose, une petite mise en situation géopolitique s’impose. La France et l’Inde sont deux grandes puissances navales de la région indo pacifique. En effet, l’île de La Réunion ainsi que le département de Mayotte confortent la présence française dans cette région du monde. Pour faire face à une influence chinoise croissante. l’Inde et la France ont signé un partenariat stratégique en 1998 afin d’assurer une sécurité navale et militaire. C’est dans ce contexte bien particulier que l’Inde est devenue au fil des années l’un des premiers clients de ses industriels, Dassault ou encore Thales, dont l’Etat fait partie des principaux actionnaires, ont signé divers contrats de vente avec l’Etat indien. D’où l’origine de cette affaire.

Le 29 juillet 2011, Thalès et Dassault ont signé un contrat de 2,4 milliards de dollars afin de rénover des avions de chasse Mirage 2000. Dix ans plus tard, un certain Sanjay Bhandari a porté plainte contre Thales auprès du tribunal de commerce de Nanterre pour manquement de paiement. Cet homme d’affaires indien estime que le groupe français n’a pas versé les 11 millions d’euros promis en contrepartie de son intervention auprès de l’Etat indien pour assurer au groupe l’obtention du marché de rénovation. C’est cette même plainte qui est à l’origine de l’enquête du PNF. Sanjay Bhandari, originaire d’une caste élevée, se trouve à la confluence du monde politique et économique indien. Ce dernier est proche d’une des principales formations politiques du pays, à savoir le Parti du Congrès. Il prétend s’être servi de ses relations pour favoriser le dossier de Thales concernant le marché public de rénovation.

Cette relation commerciale n’a jamais été officialisée par écrit. Il explique dans sa plainte avoir rencontré à l’époque plusieurs représentants de Thales, dont l’ancien directeur général du groupe en Inde, qui lui aurait promis une commission de 11 millions d’euros. Cette somme devait être versée par le biais d’un montage financier impliquant plusieurs structures en Inde et à Dubaï, selon les dires du plaignant. Ce montage devait être basé sur une multitude de contrats dits « offset », à savoir des contrats signés en marge d’un contrat principal avec un Etat. Ce ne serait pas la première fois que Monsieur Bhandari intervienne en faveur du groupe puisqu’il évoque également un contrat de vente de sous marins en 2005. Même si, là encore, aucune trace écrite officialise cette relation commerciale.

Le plaignant estime que celle ci aurait été constituée sur une confiance tacite. D’après le journaliste Jean Guisnel, spécialiste des questions de défense, cette affaire rencontre du système de corruption indien sur les ventes d’armes, permettant notamment de financer les partis au pouvoir, à savoir le Parti du Congrès ainsi que le BJP, Parti indien du peuple. Le parti au pouvoir se servirait de ces ventes pour se financer, tandis que l’opposition en profiterait pour faire des révélations dans la presse avant les échéances électorales. En définitive, ce ne serait pas la première fois que des industriels français se servent intermédiaires pour corrompre l’Etat indien afin de s’assurer l’obtention de certains marchés publics. C’était le cas notamment de l’affaire des Rafale Papers, dévoilés en 2021, où l’entreprise Dassault s’était servie d’un intermédiaire pour obtenir un contrat de vente de 36 Rafale. Tout comme pour les Rafale Papers, il est fort à parier que l’Etat français ferme les yeux sur cette potentielle nouvelle affaire impliquant Thales.