Les financements russes du Rassemblement National

Retour dans ce podcast sur l’affaire des financements russes du Rassemblement National, avec en seconde partie, un entretien avec Julien Bayou, député écologiste et membre de la Commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères (juin 2023).

Le RN a bénéficié de prêts russes en 2014. Or ces financements se sont accompagnés d’un alignement du parti sur les positions du Kremlin, avant et après l’obtention des prêts. Dans le contexte de l’annexion de la Crimée, y a-t-il eu des contreparties politiques au financement par une banque russe du parti de Marine Le Pen ? Comment expliquer que le RN soit passé par une structure russe peu connue pour se financer, la First Czech Russian Bank, qui a fait faillite 2 ans après avoir financé le parti frontiste ?

Remerciements

Merci à Julien Bayou d’avoir accepté notre demande d’interview. Merci également à Jean-Paul Bordes, la voix de notre récit, Alexandre G., pour le visuel, ainsi qu’à BPC studio et Yarol Caldera pour la musique.

Texte intégral de l’épisode

« Vous avez été je pense une des premières responsables politiques européennes, dès 2014, à reconnaître le résultat de l’annexion de la Crimée. Je rappelle qu’en droit international on reconnaît généralement, pour ne pas dire qu’on ne le fait plus depuis la 2e guerre mondiale, des territoires qui sont annexés par la force, alors même que Vladimir Poutine avait reconnu que les conditions de ce référendum en Crimée était les siennes. Vous l’avez fait pourquoi ? Et je le dis avec beaucoup de gravité ce soir car pour notre pays c’est une mauvaise nouvelle. Parce que vous dépendez du pouvoir russe. Et vous dépendez de M. Poutine. Parce que quelques mois après avoir dit cela Mme Le Pen, vous avez contracté un prêt, en 2015, auprès d’une banque russe. La First Czech Russian Bank. Proche du pouvoir. En septembre 2015. Puis vous avez ensuite reboutiqué ce prêt auprès d’autres acteurs. Tout ça est totalement transparent, connu, notifié, notarié. Qui sont ensuite impliqués dans la guerre en Syrie. Et donc vous ne parlez pas à d’autres dirigeants, vous parlez à votre banquier, quand vous parlez de la Russie ! C’est ça le problème Mme Le Pen ! »

Emmanuel Macron

Comment expliquer cette phrase du président de la République française et candidat à un second mandat, en plein débat d’entre-deux tours, face à sa challenger Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National ?

Nous allons retracer dans ce podcast l’histoire des financements russes du RN, et de leur influence sur les prises de position de ce parti. Il est avéré que le RN a bénéficié de deux prêts russes en 2014 (9 millions d’euros pour le parti et 2 millions pour le microparti de Jean-Marie Le Pen). Ces financements se sont accompagnés d’un alignement du parti sur les positions du Kremlin, avant et après l’obtention du prêt, et ce jusqu’à très récemment. La guerre en Ukraine est venue peu à peu rebattre les cartes, jusqu’aux discrets revirements récents de Jordan Bardella, dont on peut donc légitimement questionner la sincérité.

On sait que le RN a de longue date eu des difficultés de financement : de l’affaire des assistants parlementaires au Parlement européen à l’affaire des kits de campagne de 2012, plusieurs affaires politico-financières ont montré que ce parti jouait avec les marges de la légalité pour se financer. Néanmoins l’affaire russe semble différente dans la mesure où elle implique un état étranger. Retour sur l’affaire des financements du RN, donc.

La Russie et l’extrême-droite française : une proximité de longue date

L’affaire des financements russes du Rassemblement National s’inscrit dans une histoire plus longue, celle des relations très proches que le parti entretient avec la Russie, à partir des années 1990 et plus fortement encore à partir de l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine en mai 2000.

En 1996, le parti d’extrême droite, qui s’appelle encore le “Front National”, est dirigé par Jean-Marie Le Pen. Ce dernier apporte son soutien à Vladimir Jirinovski, un politicien ultranationaliste au style grand-guignol, qui deviendra par la suite un commode opposant de paille à Vladimir Poutine. A la même époque, les proches du dirigeant frontiste, comme le député européen Jean-Yves Le Gallou, s’entichent d’Alexandre Douguine, un propagandiste et théoricien politique d’extrême droite russe connu pour ses positions ultra-nationalistes et néo fascistes. Ce dernier promeut l’impérialisme russe, son expansionnisme militaire et diffuse le concept d’« eurasisme ».

J’admire assez l’action de Poutine et je suis assez admiratif de la façon dont le régime totalitaire et criminel qu’était la Russie soviétique a réussi une transition sans dégâts intérieurs et extérieurs ; je suis comme vous le savez peut-être un partisan de ce que j’appelle « l’Europe boréale » qui va de Brest à Vladivostok.

Jean-Marie Le Pen

Ces idées infusent le parti d’extrême-droite, dont les membres les plus importants vont se rapprocher de plus en plus du pouvoir russe…en particulier à partir de l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en mai 2000.

Onze ans plus tard, lorsqu’elle prend la tête du parti frontiste, Marine Le Pen est entourée de plusieurs personnalités très favorable au pouvoir russe. Il y a notamment Aymeric Chauprade, son conseiller spécial, responsable de la fédération des Français de l’étranger et tête de liste FN en Île-de-France aux européennes. C’est lui qui lancera en 2014 devant le Parlement russe (la Douma), un « appel de Moscou » pour soutenir « les efforts de la Russie visant à résister à l’extension mondiale, voulue par l’Occident, des “droits” des minorités sexuelles ». Trois mois plus tard, il est l’invité du Club Valdaï, forum international placé sous l’égide de Poutine. Il y a aussi Xavier Moreau, qui dirige l’antenne russe de Realpolitik TV et a créé une société de « conseil en sûreté des affaires », Sokol, basée à Moscou. Citons encore Fabrice Sorlin, candidat FN aux législatives de 2007 et aux cantonales de 2008 en Gironde. Il est à la tête de l’Alliance France-Europe-Russie qui veut œuvrer au « rapprochement » de l’Europe et la Russie, par ce qu’il appelle la « réinformation » sur la « réalité de la politique russe ».

Entourée cette garde rapprochée, Marine Le Pen opère un rapprochement net avec Moscou. En 2011 elle déclare dans une interview au journal russe Kommersant : « Je ne cache pas que dans une certaine mesure j’admire Vladimir Poutine ». Elle défend l’idée d’un partenariat poussé avec la Russie, pour des « raisons civilisationnelles et géostratégiques » et pour « notre indépendance énergétique ». En juin 2013, elle se rend en Russie avec Louis Aliot, en passant par la Crimée. Quelques mois avant elle, Marion Maréchal-Le Pen et Bruno Gollnisch avaient eux aussi fait le déplacement. En Russie, Marine Le Pen est reçue par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un ancien général qui a connu Poutine au KGB et au FSB (sécurité de l’État). Elle rencontre aussi Alexeï Pouchkov, qui dirige le comité des affaires étrangères de la Douma, et le vice-premier ministre Dmitri Rogozine. De retour en France, elle prend aussi attache avec Alexandre Orlov, l’ambassadeur de Russie, qui les reçoit en grande pompe lors d’une soirée où l’on sert vodka glacée et zakouskis.

C’est dans ce contexte de forte proximité idéologique et politique, que vont se nouer les liens financiers entre le Front National et le pouvoir Russe. Précisons qu’en France, plusieurs échéances électorales approchent : les départementales et régionales de 2015, mais surtout la présidentielle de 2017.

L’obtention du prêt

En novembre 2014, Mediapart révèle l’obtention par le FN, deux mois plus tôt, d’un prêt de 9 millions d’euros provenant de la banque First Czech Russian Bank. L’établissement créé en République tchèque en 1996 par le gouvernement de l’époque, a entre-temps déménagé son siège social à Moscou. Le manque de notoriété et la taille modeste de cette structure étrangère posent question…comment le RN a-t-il été mis en contact avec cette banque ? quelles sont les conditions du prêt ? Cela peut paraître surprenant. Avec cet article, c’est aussi la première fois que sont mis au jour des liens financiers entre le RN et des structures financières susceptibles d’être influencées par la Russie de Poutine. Marine Le Pen signe la résolution validant le principe du prêt le 10 juin, le bureau exécutif du parti lui emboîte le pas le 29 août, et le 11 septembre 2014, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, se rend à Moscou pour signer le contrat. Côté russe, la convention est paraphée par le dirigeant de la banque, Roman Yakubovich Popov.

Entre le parti français et le plus haut niveau du pouvoir en Russie, un personnage en particulier a joué les intermédiaires : c’est le député européen Jean-Luc Schaffhauser.

Ce député européen, ancien consultant de chez Dassault, a été candidat FN à la mairie de Strasbourg en 2014, avant de devenir conseiller diplomatique de Marine Le Pen. Il a notamment été « observateur » lors du pseudo « référendum » de mars 2014 organisé en Crimée par les séparatistes pro-russes. En novembre suivant, lors des « élections » qui se tiennent à Donetsk, en Ukraine, Schaffhauser est sur place pour apporter sa caution au scrutin au nom de l’Association pour la sécurité et la coopération en Europe (ASCE), une organisation parasite de la très officielle Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui n’avait, elle, pas dépêché de représentant.

C’est Jean-Luc Schaffhauser qui a fait le « go-between » en Russie pour acter le principe du prêt au Front National. En février 2014, il a présenté Marine Le Pen au sénateur russe Alexandre Babakov, député du parti présidentiel Russie Unie et conseiller du président Poutine chargé des relations avec les organisations russes à l’étranger. Et entre 2014 et 2016, lui et ses proches ont mis le FN en contact avec trois banques russes au profil douteux, au cours de rencontres à Paris et à Genève.

Suite aux révélations de Mediapart sur le prêt de la First Czech Russian Bank, la présidente du parti d’extrême droite confirme l’existence de ce dernier, et le justifie par les refus systématiques des banques françaises ou européennes de prêter de l’argent à son parti. 

Elle explique à l’Obs : « Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n’a accepté. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne et, oui, en Russie ». Elle réfute, par ailleurs, la thèse selon laquelle cette structure dépendrait du Kremlin.

“Je vous cache pas qu’un certain nombre nous ont indiquées qu’elles avaient été refroidies par le rejet des comptes de campagne de NIcolas Sarkozy mais je ne suis pas sûr que ce soit l’argument le plus efficient pour ne pas accorder un prêt au Front National. Nous sommes toujours prêts à voir une banque française se substituer à la  banque russe, j’ai intégré exprès dans le contrat une clause de remboursement anticipé”

Marine Le Pen

Or les questions de fond sont bien celles-ci : savoir qui dirige la First Czech Russian Bank, et si cette structure est indépendante du pouvoir Russe. L’investigation de Mediapart révèle que la banque, fondée en 1996, a été reprise par Roman Popov, un banquier russe bien introduit auprès du Kremlin et déjà photographié aux côtés de Dmitri Medvedev, ancien premier ministre. Popov est aussi un ancien cadre financier de la firme Stroytransgaz, entreprise de construction de gazoducs dont le principal client est…le mastodonte Gazprom, dont les liens avec le pouvoir russe ont été documentés. Précisions que Gazprom, jusqu’en 2022, possédait la First Czech Russian Bank.

La FCRB a d’ailleurs eu du mal à s’implanter hors de Russie. À deux reprises, la Banque centrale tchèque a refusé de lui accorder une licence bancaire, estimant que la structure du capital n’était pas suffisamment transparente. L’affaire avait été traitée à un haut niveau, puisque Vladimir Poutine lui-même avait plaidé en faveur de la banque lors d’une rencontre avec ses homologues tchèques. Le cas de la FCRB avait soulevé des interrogations au sein des organes de sécurité tchèques, qui estimaient qu’elle « pourrait avoir des liens avec les services secrets russes, ou avec des éléments du crime organisé », selon Mediapart. L’article précise par ailleurs qu’un ancien dirigeant de Stroytransgaz, membre du conseil de surveillance de la banque à partir de 2008, Viatcheslav Baboussenko, est aussi un ancien responsable du KGB. Il semble donc évident, comme l’écrit le quotidien Kommersant, que l’opération bancaire « n’aurait pas pu se réaliser sans l’aval des autorités russes ».

En avril 2015 l’affaire rebondit, avec la publication par le groupe d’activistes en ligne Anonymous de documents piratés. Le portable et la boîte mail de Timur Prokopenko, membre de l’équipe de communication de l’administration présidentielle russe, ont été hackés. Dans ces échanges, le Rassemblement National apparaît à 66 reprises, en particulier dans une conversation où les auteurs se félicitent de la position de Marine Le Pen suite à l’invasion de la Crimée par la Russie. Le 17 mars 2014, Marine Le Pen a en effet reconnu les résultats du référendum sur le statut politique de la Crimée, une position alignée sur la doctrine officielle du Kremlin. Le même jour, Timur Prokopenko échange par texto avec l’un de ses proches, et se félicite du positionnement de Marine Le Pen : « il faudra d’une manière ou d’une autre remercier les français…c’est important », écrit-il. Ces échanges, datant de mars 2014, sont antérieurs à l’obtention du prêt par le parti d’extrême droite (en septembre 2014, révélée en novembre). On touche ici au cœur de l’affaire : y a-t-il eu des contreparties politiques à ces prêts russes ? Quel est ce « remerciement » à adresser « aux français », évoqué dans les textos à propos du référendum en Crimée ?

Une commission d’enquête parlementaire est ouverte en France à l’automne 2015. Les financements du RN interrogent certains parlementaires qui s’inquiètent des risques d’influence directe d’un État étranger sur un parti politique de premier plan, a fortiori lorsque ce dernier se refuse à rendre public les contrats de prêt. A cette date en effet, rien n’a filtré sur les conditions de remboursement. Plus tard, on apprendra que le taux d’intérêt du prêt était de 6%, et qu’il était remboursable en une fois en septembre 2019, avec un paiement trimestriel des intérêts.

La défense du RN est d’expliquer que le parti est depuis longtemps sur une ligne pro-russe, que les positions n’ont pas été infléchies par l’existence du prêt. Mais le cœur de l’affaire et le soupçon de « pacte corruptif » est en réalité le sujet précis de la Crimée et de la reconnaissance ou non du référendum d’autodétermination de mars 2014.

La faillite de la banque et le rééchelonnement du prêt

En mars 2015, la créance du RN est rachetée par la société Conti pour 9,4 millions d’euros, via un contrat de cession. Conti est une société russe installée en périphérie de Moscou, qui déclare comme principale activité la location de voitures, ce qui place le parti dans une situation très exotique. Peu avant le rachat de la créance par Conti des 9 millions, Jean-Luc Schaffhauser rencontre un proche d’Alexander Babakov, le député russe ayant facilité l’obtention du prêt.

En juillet 2016, la First Czech Russian Bank fait faillite et est liquidée. L’agence d’assurance des dépôts bancaires russes (ASV) pointe chez elle des irrégularités majeures, des placements désastreux et un niveau insuffisant d’actifs pour perdurer. L’un de ses ex-dirigeants de la banque, Dmitri Merkoulov, est placé en détention. Ce n’est pas encore le cas du directeur, Roman Popov, l’homme qui avait validé le prêt en 2014. Au cours de la procédure de liquidation, l’ASV demande l’annulation du contrat de cession entre la First Czech Russian Bank et la société Conti, arguant que le contrat est douteux et qu’il sert à empêcher un remboursement final – mais la cour d’arbitrage de Moscou n’accède pas à cette demande. Les documents juridiques récupérés par Mediapart sont de nature à démontrer qu’en novembre 2016, le RN n’avait pas encore remboursé la banque russo-tchèque, ni plus tard la société Conti. 

Les soupçons autour du prêt douteux se renforcent donc fortement, à tel point que beaucoup se demandent si l’opération n’était pas simplement un don déguisé. Le soupçon est d’autant plus fort que l’on apprend ensuite que la First Czech Russian Bank n’est pas la seule banque au profil sulfureux à avoir accordé un prêt au Rassemblement National : c’est aussi le cas de la Strategy Bank et de la NKB Bank, deux banques russes au profil très douteux, en 2016. Le point commun de ces trois banques : toutes les trois ont fait faillite.

En février 2016, le Parquet national financier (PNF) français ouvre une enquête préliminaire sur les fonds perçus par l’intermédiaire du prêt – l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser.

Cela n’empêche pas Marine Le Pen de signer la même année, en juin 2016, une troisième demande de prêt avec une banque russe pour trois millions d’euros. Le trésorier du FN assurera par la suite à Mediapart que ce projet n’a « eu aucune suite ».

La réalité de l’ingérence politique russe auprès du parti français est renforcée par un nouvel article de Mediapart en mai 2017, co-publié avec l’aide du média d’investigation letton Re:Baltica. Dans cet article figurent les échanges par mails datés de début 2014 entre Schaffhauser et Babakov, le député du parti Nouvelle Russie, au sujet des projets de financements du parti. Ces échanges montrent que dans un premier temps, le financement devait se faire via une fondation dirigée par Schaffhauser (« l’Académie européenne »), mais que ce projet n’avait pas abouti. La First Czech Russian Bank n’est pas directement mentionnée dans les échanges, mais 3 mois après ces emails, le prêt était obtenu. Les écrits récupérés par les journalistes confirment aussi que des interlocuteurs russes étaient directement en communication avec Schaffhauser pour proposer des éléments de langage à Marine Le Pen sur la situation en Ukraine. Il s’agissait que cette dernière en fasse des communiqués de presse transmis à des agences comme Reuters. Ces éléments de langage provenant du pouvoir russe ont également été repris par Schaffhauser au cours de son mandat au Parlement européen. Tous ces éléments pourraient être considérés comme pouvant constituer la « contrepartie » de l’aide financière de la First Czech Russian Bank au RN.

Mais revenons à la créance de 9,4 millions d’euros récupérée à la First Czech Russian Bank par la société de location de voitures Conti. On apprend qu’elle est ensuite transférée à une société aéronautique russe, active en Syrie, et dirigée par d’anciens militaires proches des services secrets russes : la société Aviazapchast. L’agence d’assurance des dépôts bancaires russes (ASV) cherche à faire annuler cette cession, au même titre que la précédente, mais la cour d’arbitrage ne lui donne pas plus raison en mai 2017 qu’en 2015. 

Le prêt s’est aussi dans l’intervalle retrouvé détenu par la RosinterBank, et Roman Popov, signataire initial du prêt, est inculpé pour détournement de fonds. Un mandat d’arrêt international est lancé contre lui en avril 2018. Il lui est reproché d’avoir procédé à 32 opérations frauduleuses dans la semaine précédant la faillite de la banque, détruit une grande partie des archives de l’établissement, et détourné à son profit 400 millions de roubles, soit environ 5,7 millions d’euros. Il a depuis quitté la Russie et est activement recherché.

En décembre 2019, le dernier créancier connu du prêt au RN, Aviazpchast, dépose plainte devant la justice russe pour « récupération de crédit impayé ». Le RN obtient un rééchelonnement pour rembourser à échéance 2028, contre 2019 dans le premier contrat de prêt.

Les suites judiciaires

La faillite de la First Czech Russian Bank et le passage vers plusieurs entreprises de la créance de 9,4 millions d’euros permet d’éclairer les compromissions du RN, prêt à beaucoup pour se financer, même auprès de structures bancaires douteuses proches d’Etats étrangers. Le RN est donc désormais obligé de rembourser un prêt de plusieurs millions d’euros à une entreprise liée à l’armée russe et au régime syrien. Le parti de Marine Le Pen s’est aussi lié à une banque dont l’origine des fonds était étrange, et qui a participé à des opérations illicites qui l’ont conduit à la faillite. Les investigations journalistiques ont aussi révélé la concomitance entre l’obtention du prêt et le rapprochement des positions du RN sur la doctrine du Kremlin, concernant la Crimée. Il est vrai que le RN avait déjà une proximité de longue date avec les prises de position russes, mais les déclarations de Marine Le Pen et de plusieurs eurodéputés RN au Parlement sont autant d’exemples concrets de la reprise directe par le parti, des positions russes pendant la période 2014-2017.

Au rayon des suites judiciaires, notons que l’enquête ouverte par le PNF en 2016 sur les commissions qu’aurait touchées l’ancien député européen Jean-Luc Schaffhauser se voit ensuite élargie aux conditions dans lesquelles le parti de Marine Le Pen a obtenu en 2017, auprès d’un ex-eurodéputé FN et homme d’affaires français très implanté en Afrique, Laurent Foucher, un prêt de 8 millions d’euros qui a transité par les Émirats arabes unis. Ce nouveau prêt fait l’objet d’un signalement de Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, au Parquet National Financier en décembre 2019.

Toujours en 2017, la Société Générale ferme les comptes bancaires du RN sans justifier sa décision. Marine Le Pen précisera plus tard que la banque ne souhaiterait dorénavant plus traiter avec les partis politiques. En avril 2019, à l’approche des élections européennes, le RN est donc amené à lancer un « emprunt patriotique » auprès des Français pour financer sa campagne, en leur demandant de prêter au moins 1 000 euros, avec un intérêt de 5%, pour faire face au refus des banques de lui prêter de l’argent. In fine le parti parviendra à lever 4 millions d’euros. Il emprunte par ailleurs 6 millions d’euros à Cotelec, le micro-parti de Jean-Marie Le Pen, que ce dernier fait garantir par l’État à hauteur de 4,5 millions : ainsi cette somme pourrait être ponctionnée sur les quelque 5 millions d’aides publiques que touche la formation mariniste chaque année.

Le parti d’extrême-droite continue depuis de naviguer sur une ligne de crête quand il s’agit de son financement et de ses démêlées avec la justice. En octobre 2022, le parquet de Paris ouvre une enquête sur de possibles faits de corruption et de trafic d’influence en lien avec Dialogue franco-russe, une association co-présidée par l’eurodéputé RN Thierry Mariani. 

La même année, le RN obtient un prêt de 10,7 millions d’euros d’une banque hongroise proche de Viktor Orban, la MKB, qui fait suite à l’interdiction faite aux partis, en 2017, de contracter des emprunts hors des frontières de l’Union Européenne. Une nouvelle qui ne manquera pas d’amener son lot de nouveaux questionnements.

Dernier épisode en date, la commission parlementaire sur les ingérences étrangères de 2023, a éclairci encore un peu plus les relations entre le parti frontiste et le pouvoir russe, lors de la décennie 2010-2020. Constance Le Grip, la rapporteure de cette commission, a procédé à un contrôle à la CNCCFP, et écrit deux choses : 

  • Premièrement, aucun élément n’a permis de mettre au jour que le Front national avait dû apporter des garanties contre l’octroi du prêt russe, ce qui est inhabituel et constitue un avantage considérable eu égard aux exigences qui s’appliquent ordinairement à un prêt de ce montant ;
  • Deuxièmement, le rééchelonnement du prêt russe (dont le remboursement a été décalé de 2019 à 2028) constitue, pour le Rassemblement national, « un avantage certain et conséquent », ce qui contredit le discours selon lequel le RN n’a jamais bénéficié d’un « traitement de faveur » de la part de ses créanciers russes.

« L’ensemble de ces circonstances conduit à s’interroger sur les motivations qui ont conduit à l’octroi de ces prêts par des établissements russes au FN puis au RN, alors que le parti a multiplié les marques de soutien et de proximité envers le pouvoir russe », conclut le rapport, qui liste les éléments alimentant l’hypothèse de contreparties politiques aux financements russes.

Suite à la remise du rapport de la commission d’enquête parlementaire, deux députés français (Stéphane Vojetta du groupe Renaissance et Julien Bayou du groupe Écologistes NUPES) déclarent envisager une plainte pour « faux témoignage » contre Marine Le Pen, qu’ils accusent d’avoir menti sous serment au sujet de la reprise de la créance par Aviazapchast.

Références