Le financement illégal de campagne

Remerciements

Merci à Elise Van Beneden pour l’écriture de l’épisode, Alexandre G. pour le visuel, et Yarol Caldera pour la musique.

Texte intégral de l’épisode

Aujourd’hui nous nous penchons sur un sujet sensible : le financement illégal de la vie politique, qui a défrayé à de nombreuses occasions la vie politique française et qui n’a fait que très tardivement l’objet de mesures de préventions prévues par la loi.

Avant 1988, il n’existait en effet pas de cadre légal du financement de la vie politique en France. Comme souvent, les lois de 1988 sont venues répondre à un scandale, celui de l’affaire Luchaire, du nom d’une société d’armement alors dirigée par l’industriel Daniel Dewavrin. De 1982 à 1986, cette société a contourné l’interdiction de vente d’armes à l’Iran mise en place contre la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, en livrant 450 000 obus à l’Iran via des procédures d’exportation frauduleuse. Ce trafic aurait été couvert par le ministre de la Défense de l’époque, le socialiste Charles Hernu, en échange de rétrocommissions présumées d’environ trois millions de francs. Un véritable scandale d’État, donc, où les membres d’un parti politique au pouvoir auraient fermé les yeux sur un trafic sanguinaire tant que les caisses du parti étaient bien alimentées. Ce dossier a fait l’objet d’un non-lieu (et il n’a pas pu être contesté à l’époque par Anticor pour la bonne raison que l’association n’existait pas encore !) et après la réélection de François Mitterrand en 1988, l’affaire Luchaire est enterrée.

Mais revenons sur la répercussion de ce scandale : à la veille de l’élection présidentielle de 1988, la première loi de transparence financière de la vie politique est votée. Elle amène trois nouveautés :

  • D’abord, elle met en place le principe du financement public des partis politiques représentés au Parlement et des élections présidentielles, législatives et sénatoriales, dont les dépenses sont plafonnées.
  • Ensuite, elle oblige les candidats à l’élection présidentielle à adresser au Conseil constitutionnel une déclaration de patrimoine, le candidat ou la candidate élu voyant ensuite sa déclaration rendue publique.
  • Enfin, la loi crée la Commission pour la transparence financière de la vie politique, qui a pour mission d’apprécier l’évolution du patrimoine des membres du Gouvernement et aux principaux élus locaux au cours de l’exercice d’un mandat ou d’une fonction, et le cas échéant, de détecter les enrichissements anormaux. Lorsqu’elle met en évidence une variation de patrimoine inexpliquée, pouvant laisser présumer la commission d’une infraction pénale, elle signale le dossier au procureur de la République compétent.

Ce premier cadre législatif est amené à évoluer à peine deux ans plus tard, en 1990, à l’occasion de l’affaire Urba, autre scandale portant sur l’attribution frauduleuse de marchés publics par des collectivités territoriales entre 1973 et 1990, qui ont permis de financer de manière occulte le Parti socialiste. François Mitterrand lui-même est éclaboussé. La « loi Rocard » limite le montant des dons des personnes morales aux partis politiques à hauteur de 550 000 francs, elle étend le plafonnement à tous les types d’élections et ouvre le financement public aux formations politiques non représentées au Parlement. Pour veiller au respect de ces principes, la loi met aussi en place la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (la CNCCFP), qui existe encore aujourd’hui.

Dernière étape qui vient compléter le dispositif de prévention du financement illégal de campagne : la loi du 19 janvier 1995 est rédigée à partir des conclusions du groupe de travail de l’Assemblée mis en place après la démission de trois ministres du gouvernement d’Edouard Balladur mis en cause dans des affaires politico-financières : Alain Carignon, Michel Roussin et Gérard Longuet. Elle interdit les dons aux partis politiques français des personnes morales autres que les partis politiques, que ce soient les entreprises, les associations, les fondations, les syndicats ou les collectivités locales. Par la même occasion, elle augmente le remboursement par l’État des dépenses de campagne jusqu’à 50 % du plafond de dépenses.

On l’aura compris, l’enjeu principal de l’encadrement du financement de la vie politique est d’empêcher la corruption et la compromission des responsables politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans les partis. Mais il s’agit aussi, plus largement, de maintenir la vie politique autant que possible à l’abri de l’influence de l’argent en imposant une certaine égalité entre les candidats. Les partis politiques sont ainsi astreints à des garanties de transparence, de manière à éviter les financements occultes et les pressions financières susceptibles de compromettre leur indépendance.

Dans un monde où les processus électoraux sont encore largement critiqués, l’encadrement légal du financement de la vie politique est un marqueur fort en termes de démocratie. Mais cet encadrement est-il adapté et surtout, est-il respecté ?

Les principes essentiels du contrôle de la vie politique

La Constitution française confie deux missions aux partis politiques : concourir à l’expression du suffrage et favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. Un parti politique est une association, personne morale de droit privé qui se soumet à la législation sur le financement des partis politiques. Sous réserve de respecter cette condition, il peut bénéficier d’un financement public. Comme on l’a vu, le dispositif actuel s’est progressivement perfectionné, et il repose aujourd’hui sur 4 principes fondamentaux :

  1. L’absence totale de lien entre l’argent des entreprises et les acteurs de la vie politique – partis et candidats – et l’interdiction faite aux personnes morales de prendre part au financement de la vie politique ;
  1. Pour pallier l’absence de financement militant, traditionnellement modeste en France, l’État a mis en place un dispositif d’aide financière aux partis politiques et de prise en charge d’une partie des dépenses de campagne, en contrepartie du strict respect de la législation. Les manquements à cette législation exposent leurs auteurs à une série de sanctions très dissuasives (sanctions pénales, sanctions financières et, surtout, peines d’inéligibilité pour les candidats qui ont pour effet d’évincer temporairement de la vie politique ceux qui prennent le risque de la fraude) ;
  1. La mise en œuvre des règles de financement des partis et des campagnes électorales est confiée à une autorité administrative indépendante, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), sous le contrôle du juge de l’élection (Conseil constitutionnel pour l’élection présidentielle et les élections législatives et juge administratif pour les autres élections) ;
  1. Le patrimoine des élus doit être déclaré en début et en fin de mandat, de manière à s’assurer que ceux-ci n’ont pas profité de leurs fonctions pour s’enrichir indûment. Le contrôle est assuré par une autorité administrative indépendante, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Comment fonctionne le financement des partis politiques ?

Nous l’avons souligné, les partis politiques n’ont pas le droit de recevoir d’argent d’une personne morale à but lucratif. Ils peuvent toutefois dégager des ressources provenant d’activités économiques du parti, de legs, mais aussi et surtout d’autres partis politiques.

On l’a vu, la loi de 1988 a fixé à environ 7 500 € par personne physique le montant des dons pouvant être consentis et des cotisations pouvant être versées aux formations politiques. Depuis la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique, seuls les Français ou les personnes résidant en France peuvent effectuer de tels dons.

Les prêts aux partis politiques font également l’objet d’un encadrement strict. En effet, la loi de 2017 prévoit que les personnes physiques ne peuvent consentir de tels prêts qu’à condition qu’ils ne soient pas effectués à titre habituel. Ces prêts, qui sont soumis à des plafonds, ne peuvent excéder une durée de cinq ans car ils ne sauraient constituer des dons déguisés. S’agissant des prêts consentis par des personnes morales, ils ne sont autorisés que pour les entités européennes : un État ou une banque extérieure à l’Union ne peut donc ni prêter, ni garantir le prêt d’un parti politique. En contrepartie, depuis 2017, un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques a pour mission de faciliter l’octroi, par les banques, de prêts à des candidats, partis ou groupements politiques rencontrant des difficultés de financement.

Il résulte de cet encadrement que le financement des partis politiques est aujourd’hui principalement public. En 2024, ce financement public représente une enveloppe de 66 millions d’euros. Le montant alloué à chaque formation politique est fonction de deux critères : les résultats au premier tour des dernières élections législatives et les partis représentés au Parlement, en proportion du nombre de députés. En 2024, le parti présidentiel a perçu 19 millions d’euros d’aides publiques, le Rassemblement national plus de 10 millions d’euros et la France insoumise presque 8 millions d’euros.

Il s’agit de sommes d’argent très importantes et pourtant, les scandales de financement des partis sont légion ! Sur les dernières années, il suffit de s’intéresser à l’affaire des assistants parlementaires du MODEM et du RN.

Alors que les assistants parlementaires des eurodéputés doivent être uniquement mobilisés sur des missions en lien avec le Parlement européen, de nombreux assistants auraient travaillé, non pas à Bruxelles ou à Strasbourg mais aux sièges de leurs partis politiques, ce qui serait une manière de financer le parti, sans rien débourser, en détournant les assistants parlementaires, rémunérés sur fonds publics, à l’avantage du parti.

Comment se finance une campagne électorale ?

Comme pour les partis, le financement des campagnes électorales par des entreprises est interdit. Mais au-delà du financement direct de la campagne d’un candidat, par virement par exemple, il y a de nombreuses occasions de fraudes. Durant une campagne, de nombreuses prestations sont commandées, pour organiser des meetings, pour communiquer, créer des goodies, imprimer des tracts… Bref, l’interdiction pour les entreprises de financer une campagne signifie également qu’elle ne peut pas faire des ristournes trop importantes à un parti politique.

Les dépenses de campagne onéreuses comme la publicité télévisée et radiophonique, sont interdites. Et dans les six mois qui précèdent l’élection, le marketing téléphonique et informatique, la publicité par voie de presse ou les campagnes d’affichage le sont également.

Le financement privé prend la forme de dons provenant de personnes physiques ou de partis politiques. Ceux des personnes physiques ne peuvent excéder 4 600 € par élection. Les dons des partis ne sont, eux, pas plafonnés, ce qui posent de graves difficultés. Un micro-parti est très souvent sans adhérents mais avec de généreux donateurs. L’activité du micro-parti tourne autour d’une seule personnalité : un élu local, un député, un ministre ou une personnalité qui veut un minimum d’autonomie financière, ce dont il ne dispose pas au sein d’un grand parti. Avec un micro-parti, un élu dispose d’une totale liberté de création et de gestion. La multiplication de ces petites structures satellite permet donc aux donateurs de verser non seulement 7 500 € par an au grand parti de son choix , mais aussi 7 500 € à chacune de ces sous-formations. C’est ce qui explique le succès de ce genre de structure : en 2014 en France, il y avait 408 partis politiques répertoriés par la commission des comptes de campagne, contre seulement 28 en 1990. En 2010, François Logerot, alors Président de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, commentait ce phénomène.

Par ailleurs, les dépenses électorales sont plafonnées, afin d’éviter une surenchère continue dans les dépenses de communication et pour assurer plus d’égalité entre les candidats, indépendamment de leurs ressources personnelles. Pour l’élection présidentielle, le plafond a été fixé par la loi de 1962 à 13,7 et 18,3 millions d’euros pour le premier et le second tour respectivement. À chaque nouvelle élection, un nouveau coefficient d’augmentation de ces plafonds est voté dans la loi pour tenir compte de l’inflation. Cela n’annule pourtant pas la tentation de les dépasser, bien au contraire, comme le rappelle l’ouverture récente du procès de l’affaire du financement libyen présumé de la campagne présidentielle de 2007, ou encore l’affaire Bygmalion.

Quelle est la position d’Anticor sur le financement des partis et des campagnes électorales ?

L’association ne se contente pas de critiquer les défaillances de notre système électoral, elle propose aussi plusieurs pistes de réforme. Aux yeux d’Anticor, la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques (la CNCCFP) apparaît aujourd’hui dépassée. Elle n’avait pas détecté l’ampleur du dépassement d’un compte de campagne en 2012, et la qualité de son contrôle des comptes de campagne en 2017 pose question. Il est nécessaire de mettre en place un dispositif permettant un contrôle réel des candidats en prenant des mesures nouvelles, par exemple :

  • La réforme de la CNCCFP, dans le cadre d’une réforme globale des autorités en charge de la probité publique ;
  • L’obligation pour les candidats à la présidentielle de rendre régulièrement publiques, pendant la campagne, leurs dépenses et leurs recettes ;
  • L’instauration d’une sanction rapide d’inéligibilité, qui pourra être prononcée par le juge de l’élection, à l’encontre du candidat à l’élection dont le compte de campagne a été rejeté pour fraude ou manquement grave aux règles de financement des campagnes électorales ;
  • La certification, par la Cour des comptes, des comptes des partis politiques percevant de l’argent public ;
  • La publication en données ouvertes de tous les documents justifiant les comptes des partis, les recettes et dépenses des candidats, ainsi que des avis de la CNCCFP, en ajoutant à ses missions l’obligation de publier ces documents dans un format librement réutilisable.
  • L’invalidation de l’élection, même pour l’élection présidentielle ; d’autres pays le font quand la procédure n’est pas respectée, ce fut le cas récemment en Roumanie, où la Cour constitutionnelle roumaine a annoncé en décembre 2024 l’annulation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle suite à des manœuvres d’influence russe qui ont remis en cause la sincérité du scrutin.

Pour finir sur une note positive et moins axée sur la contrainte, on peut citer une proposition intéressante formulée par l’économiste Julia Cagé : celle du “bon pour l’égalité démocratique”. Lorsqu’une personne finance un parti ou une campagne, son don est déductible de l’impôt sur les revenus à hauteur de 66% dans la limite de 20 % du revenu imposable, ce qui signifie que les préférences politiques des Français sont prises en charge sur fonds publics. Mais tous les Français ne sont pas tous égaux côté finances ! Tout le monde ne peut pas donner 4 200 € à une campagne et il faut, en tout état de cause, être imposable pour pouvoir bénéficier d’un crédit d’impôt sur le don que l’on fait. Afin de rétablir de l’égalité dans ce mécanisme, Julia Cagé propose que chaque citoyen bénéficie d’un « bon pour l’égalité démocratique » c’est-à-dire d’un budget de 8 euros d’argent public qu’il peut attribuer au parti politique de son choix, et ce indépendamment de son propre niveau de revenus.